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U.S.A. [2014] – Film noir, action, crime – Date de sortie : 17/09/2014 – Durée : 01h42
Avec : Joseph Gordon-Evitt, Eva Green, Josh Brolin, Mickey Rourke, Jessica Alba
Résumé : Dans une ville où la justice est impuissante, les plus désespérés réclament vengeance, et les criminels les plus impitoyables sont poursuivis par des milices. Marv se demande comment il a fait pour échouer au milieu d’un tas de cadavres. Johnny, jeune joueur sûr de lui, débarque à Sin City et ose affronter la plus redoutable crapule de la ville, le sénateur Roark. Dwight McCarthy vit son ultime face-à-face avec Ava Lord, la femme de ses rêves, mais aussi de ses cauchemars. De son côté, Nancy Callahan est dévastée par le suicide de John Hartigan qui, par son geste, a cherché à la protéger. Enragée et brisée par le chagrin, elle n’aspire plus qu’à assouvir sa soif de vengeance. Elle pourra compter sur Marv … Tous vont se retrouver au célèbre Kadie’s Club Pecos de Sin City…
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SIN CITY, J’AI TUE POUR ELLE – Une ville en enfer !
Dès 2006, un an après la sortie de Sin City, Frank Miller et Robert Rodriguez annoncent une suite à leur oeuvre vraiment singulière et graphiquement bluffante qui a impressionné à la fois les critiques et le public. Si cette fameuse suite arrive sur nos écrans neuf ans plus tard c’est en partie à cause des frères Weinstein, producteur du film en 2005, qui ont décidé de créer une nouvelle boîte de production indépendante, leur ancienne étant sous l’emprise de The Walt Disney Studios. Le soucis c’est qu’une fois leur indépendance obtenu, ils n’ont plus assez de dollars pour financer le projet de Miller et Rodriguez (1) …
Les deux artistes retourneront à leur carrière quelques années afin de fructifier leur porte monnaie. Mais, trop occupés sur leurs projets personnels, ils auront beaucoup de mal à se réunir de nouveau pour travailler ensemble sur la suite de Sin City. Robert Rodriguez produit et réalise Les aventure de Shark Boy et Lava girl (2005), Planet Terror (2007), Machete (2010) et Machete Kills (2013), pendant que Frank Miller, qui trouve dans le cinéma un nouveau moyen d’expression, aide à la production de 300 de Zack Snyder (2007), comic qu’il a lui même écrit et dessiné, et passe même entièrement à la réalisation avec l’imparfait mais détonant The Spirit (2008).
Le temps passe et les deux compères se retrouvent donc en mars 2012 pour relancer la machine, en adaptant le comic J’ai tué pour elle (A dame to kill for) que Frank Miller a publié en 1994. Pour étoffer l’intrigue, il écrira deux nouveaux segments, The fat lost & The long bad night, ce dernier se déroulant avant les événements de Sin City. S’ajoutent à cela d’autres séquences qui permettent de justifier le retour de la plupart des personnages afin qu’ils se greffent à l’axe narratif du comic original.
Si dans les premiers temps Angelina Jolie était envisagée pour interpréter l’héroïne principale Ava Lord, c’est finalement Eva Green qui convainc Miller et Rodriguez, après s’être intéressés à Salma Hayek, Rachel Weisz, Rose McGowan ou encore Anne Hathaway. Joseph Gordon-Levitt joue quant à lui un personnage entièrement conçu pour le film et certains acteurs seront remplacés par des nouveaux pour incarner des personnages qui nous étaient familiers : Denis Haysbert remplace Michael C. Duncan (décédé entre temps) pour jouer Manute ou Jamie Chung qui reprend le rôle de Miho à la place de Devon Aoki, enceinte lors du tournage en 2012.
Avec tous ces changements et ces nombreuses évolutions, qu’en est-il finalement de ce nouvel opus tant attendu ? Languissant la sortie du film, j’ai plutôt apprécié de me replonger dans la ‘ville du vice’ et de retrouver tous ses personnages sombres, narcissiques, violents et écorchés, victimes de l’emprise démoniaque de la ville qui ne leur offre aucun échappatoire si ce n’est celui de la survie, de l’affrontement … ou de la mort.
La 3D crée une immersion bienvenue et apporte un cachet visuel plutôt séduisant, même si quelques scènes d’actions sont affreusement mal chorégraphiées et mal filmées, en témoignage la toute dernière scène plombant l’ambiance vénéneuse orchestrée par un Robert Rodriguez qui a du mal à briller sur tous les aspects de sa mise en scène. Se contentant du minimum, il préfère trop souvent exploiter l’espace en trois dimension dans ses cadrages sans saisir davantage le mouvement des corps et des membres virevoltants. Artistiquement, il élabore une forme de picturalité sauvage et ultra stylisé dans les giclées de sang et les chairs qui explosent, mais la scénographie et les scènes de combat m’ont paru extrêmement figé, statique, et manquer cruellement de vitalité et d’audace quand elles ne sont pas tout simplement de mauvais goûts, sombrant allègrement dans le kitsch dans certaines séquences de pleine lune …
Au delà de la plastique composée d’un noir et blanc graphique toujours autant sidérant – parsemé de ci de là de touches de couleurs qui font leur petit effet, Sin City : j’ai tué pour elle échoue malheureusement sur son effet de surprise et sur son incapacité à produire du neuf. Si l’on n’est pas mécontent de se perdre une fois de plus dans cette ville ténébreuse et tragique, d’arpenter ses ruelles sombres et malfamées et de découvrir les habitants inquiétants et fourbes qu’elle abrite, les différentes histoires qui s’entrecroisent et se chevauchent ne créent pas vraiment de réelle emphase. Au bout d’une demi heure, j’avais totalement décroché sans vraiment m’ennuyer mais je n’ai pas cru une seule seconde à l’histoire qu’on me racontait.
Au final, je me serais bien passé de revoir tout ces personnages au profit de quelques uns afin de suivre une ligne narrative plus concise et rigoureuse dans la forme. Le matériau de base est donc intrinsèquement grossier, le ton et les intentions d’une grande lourdeur, et – pour achever le tout – les effets sonores soulignent avec de gros sabots le bruit des coups de poings et des chocs des corps sur le bitume. Cette constante surenchère extravagante et malvenue empêche finalement une empathie pour les protagonistes, là ou le premier Sin City parvenait avec moins d’ostentation à faire vivre leur intimité à travers une voix off plus fine et poétique dans son écriture.
La bicéphalité de l’oeuvre, opposant l’oppression et la toxicité de la ville (le noir) avec l’intériorité et l’accès aux sentiments des personnages (le blanc), ne tient pas le route une seule seconde là ou encore une fois, le premier opus trouvait toujours le ton juste. La partie psychologique étant altérée par l’incapacité des auteurs à faire vivre les tourments intimes de leur personnage sur grand écran, je me suis juste accroché au graphisme et à l’aspect visuel du film car il m’était impossible d’adhérer aux motivations et à la folie douce de Johnny, Dwight et Ava Lord, réduits à de vulgaires archétypes sans âmes : la nature de certains dialogues font vraiment peine à voir.
De plus, je trouve dommage d’expédier si rapidement l’histoire d’Ava Lord et Dwight alors que le personnage d’Eva Green est clairement l’attraction principale de l’oeuvre. Il aurait été plus malin de commencer avec les personnages que l’on connaissait déjà, qu’on prenne le temps de les redécouvrir pour finir en beauté avec celle qu’on annonce pourtant dans le titre ! S’il n’est pas déplaisant de revoir quelques uns de ses personnages (du moins, sur le papier), on a l’impression que Miller et Rodriguez ne savent pas trop sur quel pied danser avec tout ce beau monde.
A vouloir traiter plusieurs histoires en même temps, la sauce ne prend pas et la galerie de personnages qu’ils veulent à tout prix faire vivre à l’écran ne trouve aucune cohérence dans le scénario : l’effet vertigineux ainsi recherché finira toujours par s’effondrer sur lui même, malgré de sublimes tableaux magnifiquement photographiés qui surgissent parfois et captivent les rétines le temps d’un plan.
Eva Green est encore une fois parfaite dans ce rôle d’Ava Lord, une créature sensuelle, perverse et manipulatrice qui a pleinement conscience de sa beauté et ses effets auprès de la gente masculine … s’en servant à des fins purement personnels, bien évidemment, puisqu’il s’agit de la femme fatale la plus redoutable de Sin City. Si le récent 300, la naissance d’un empire exploitait gratuitement la nudité de l’actrice, l’ombre et la lumière épouse ici avec splendeur sa plastique de rêve et sa chair concupiscente dans des scènes érotiques complètement assumées.
Dans les scènes les plus osées, les cadrages sur ses postures lascives, licencieuses et profondément suggestives l’érigent à la fois en icône vampirique et en pur objet de fascination, statut suprême de la ‘femme fatale’ dans le septième art et l’imaginaire collectif. Eva Green s’abandonne corps et âme dans son personnage et n’a pas froid aux yeux, c’est le moins que l’on puisse dire ! Encore un rôle qui lui sied à merveille, après sa prestation magnifique de sorcière dans Dark Shadows sorti il y a deux ans.
Hormis la tenue visuelle de l’ensemble et l’ensorcelante Eva Green, il n’y a donc pas grand chose à retenir de ce Sin City, j’ai tué pour elle si ce n’est ma totale déception envers le cinéaste Robert Rodriguez, qui, depuis Sin City, n’avait jamais vraiment réitéré l’exploit de faire juste un ‘bon film’. Lui qui c’était illustré dans les cultissimes Desperado (1995), Un nuit en enfer (1996) et The Faculty (1998) il y a plus de quinze ans n’est désormais plus que l’ombre de lui même et confirme, avec cet opus tant attendu, qu’il est incapable de se renouveler et de répondre aux attentes des cinéphiles qui croyaient en son cinéma. « Adios amigo » …
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Ecrit et publié par Mathieu Breuillon
(1) – Toutes les informations concernant l’histoire de l’écriture du film et du tournage provient de la revue L’écran fantastique n° 354.
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