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U.S.A. – Crime, thriller, action, drame (02h01) – Date de sortie : 07/10/2015
Avec : Emily Blunt, Benicio Del Toro, Josh Brolin, Victor Garber
Résumé : La zone frontalière entre les Etats-Unis et le Mexique est devenue un territoire de non-droit. Kate, une jeune recrue idéaliste du FBI, y est enrôlée pour aider un groupe d’intervention d’élite dirigé par un agent du gouvernement dans la lutte contre le trafic de drogues. Menée par un consultant énigmatique, l’équipe se lance dans un périple clandestin, obligeant Kate à remettre en question ses convictions pour pouvoir survivre.
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SICARIO – No country for young woman …
Denis Villeneuve est très clairement l’un des cinéastes américains les plus intéressants et prometteurs de ces dernières années. S’il s’est fait remarquer avec son excellent et éprouvant Incendies (2010) qui eu un retentissant succès auprès de la critique, du public et des festivals (1), on a pu admirer par la suite ses passionnants thrillers américains Prisoners (2013) et Enemy (2013) qui ont définitivement fait de lui un véritable auteur ayant pour signature des sujets sociaux et psychologiques prenants et dures, des thématiques fortes et récurrentes et un vrai sens de la mise en scène ou l’atmosphère sensorielle occupe une place déterminante.
Avec Sicario, son troisième film en langue anglaise, Villeneuve prouve qu’il reste très cohérent dans sa manière de faire du cinéma car, encore une fois, sa réalisation immersive et minutieuse nous plonge cette fois ci coeur et âme dans l’enfer mexicain, proposant des moments de tension particulièrement saisissants.
Difficile en effet de ne pas frémir et rester insensible quand, lors d’un bouchon sur une autoroute, l’équipe de Kate Macer, en quête des trafiquants de drogues qui ont tué certains de ses collègues, suspecte une voiture d’être remplie de voyous armés jusqu’au dents et sur qui ils portent une attention troublante et ambiguë. On assiste tétanisé à une scène d’action très réaliste d’une grande puissance cinématographique qui nous scotche à notre fauteuil comme si nous étions nous même sur les lieux !
C’est là la grande force de ce film. Ce thriller antonionien sombre, cruel et envoûtant fait de l’image un monde ou le mal semble toujours tapi dans l’ombre et pourrait surgir d’un coin de la rue ou de la pièce d’à coté. La caméra offre également de longues séquences aériennes au dessus du paysage mexicain – sur un score un peu trop classique de Johann Jòhannsson, illustrant ainsi un monde sauvage, impénétrable et imprévisible, faisant ainsi vivre une présence hors champ qui captive autant que les diverses humeurs et l’impuissance physique et psychologique de Kate Macer.
Le spectateur est comme l’héroïne. Nous sommes au plus près de ses expressions et de ses faits et gestes ce qui crée une empathie immédiate et authentique. On se retrouve comme elle dans un monde inconnu dont elle ignore les lois et les codes et doit toujours subir les manières brusques, viriles et univoques de Matt Graver et Alejandro, ce dernier lui rappelant même, lors d’un dialogue plus qu’explicite, qu’elle ne doit pas s’occuper de savoir comment fonctionne une montre mais doit juste se contenter de regarder l’heure. Désarçonnée, Kate Macer, très à cheval sur la morale et la droiture, peine à s’imposer face à ses deux nouveaux collègues rustres et impartiaux et est toujours contraint de s’effacer quand elle n’est pas sciemment manipulée par les deux mâles dominants en terrain connu.
Malgré un scénario très basique dans son déroulement, la fascination repose aussi sur le triangle épatant Del Toro / Blunt / Brolin : il faut souligner à quel point ses trois acteurs magnétisent l’écran et attise toute notre attention. Sans leur charisme et leur jeu mutique, réservé et électrique, le film semblerait amputé d’une partie de sa magie. Car Sicario est typiquement le genre de film ou l’intrigue est transcendée par la présence et le talent de ses interprètes comme par ses choix de mise en scène. De plus, habituée aux comédies légères, aux drames intimistes et aux films fantastiques, Emily Blunt s’aventure dans de nouvelles voies qui lui vont à ravir tant elle se montre impressionnante et crédible dans cette production comme sur le récent Edge of tomorrow ou elle était parfaite en action-girl.
Seul bémol, le film évoque autant Traffic (2000) par son sujet sur les cartels et son histoire que No country for old men (2007) pour ses ambiances proche de l’abstraction et la sécheresse et l’épure de sa réalisation. Sicario manque peut être d’une réelle personnalité car, arrivant après ses deux films, on ne peut pas dire qu’il apporte grand chose au genre. S’il reste d’une grande maîtrise formelle et s’il s’éloigne très clairement d’un produit standard et conventionnel, il me reste au fond de la rétine une impression de déjà vu qui ne me permet pas de hisser le film comme un modèle du genre ou comme une oeuvre complètement singulière.
Mais Sicario reste malgré tout passionnant de bout en bout. On se perd avec un réel plaisir de cinéphile dans ce monde des cartels mexicains et le voyage valait vraiment le détour. Villeneuve imprègne à l’écran une tension vibrante en sourdine sans que jamais on ne décroche, ce qui impressionne et sidère à chaque séquence. Si avec le recul et les quelques jours qui ont passé, j’ai plus le souvenir d’une très bonne séance que d’un grand film, je ne peux que rester admiratif devant la cohérence cinématographique et le niveau de maîtrise du cinéaste qui, avec ces trois films américains, s’impose comme une valeur sûre pour les années à venir. Je suis en tout cas très heureux de le savoir derrière la mise en scène de la suite de Blade Runner !
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Ecrit et publié par Mathieu Breuillon
(1) – Voir ses nombreuses et impressionnantes récompenses sur sa page wikipedia.
BANDE ANNONCE :