Uniformes et jupon court (The Major and the Minor) de Billy Wilder
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Origine : U.S.A. (1942) – Genre : Comédie, romance – Durée : 01h40
Avec : Ginger Rogers, Ray Milland, Rita Johnson
Résumé : Susan Applegate, dégoûtée par la vie new-yorkaise, décide de retourner dans l’Iowa. Cependant ses économies ne lui permettent pas de payer la totalité de son voyage. Aussi se déguise-t-elle en fillette pour bénéficier d’un billet demi-tarif. Pendant le trajet en train, traquée par les contrôleurs, elle se réfugie dans le compartiment d’un bel officier instructeur dans une école militaire. Croyant avoir affaire à une gamine de douze ans, il s’institue son protecteur. Mais voilà, le bel officier a une fiancée, qui vient le chercher à l’arrivée, et découvre, par un malencontreux hasard, la passagère fraudeuse sans son déguisement de gamine …
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AVIS : premier film de Billy Wilder aux Etats-Unis, Uniformes et jupon court réalisé en 1942 annonce à la fois l’assurance du bonhomme dans la mise en scène mais aussi toutes les thématiques qui habiteront la plupart de ses films dans les années à venir : déguisements, mensonges, sexualité latente, situations équivoques et critique des institutions, des conventions et des moeurs. Produit par la société de production Paramount avec qui il travaille en tant que scénariste depuis presque cinq années, le studio lui confie, après une longue négociation (d’après ses dires dans un entretien avec Michel Ciment (1)), la réalisation de cette oeuvre qu’il adaptera avec son collègue de travail et ami Charles Brackett.
La magie de ce film provient indéniablement de l’éclat et du charme de son actrice principale, à savoir Ginger Rogers, mais aussi de son rythme précis et dynamique dans le montage du récit – impeccable et allant à l’essentiel, ainsi que de ses dialogues savoureux, ambigus et cocasses à souhaits. Le savoir faire et l’expérience de Billy Wilder parviennent à transcender cette comédie typiquement américaine par sa façon d’incorporer ses nombreuses thématiques citées plus haut sans trahir une seule seconde les codes de la screwball comedy (2) et remplir ainsi sa mission de divertissement : c’est d’ailleurs dans sa dernière partie que le film se fait plus sage et prévisible.
Par un miracle qu’on n’explique pas – sans doute est-ce du au talent inné de l’actrice accouplé à celui du metteur en scène, Ginger Rogers, qui ne ressemble aucunement à une fillette de douze ans, fait jaillir de sa fraîcheur l’aura et la naïveté d’une jeune adolescente sans trop forcer son jeu. Je me demande d’ailleurs comment le film n’a pas été censuré par le code Hayes en vigueur, souvent très à cheval sur la pudeur et les allusions sexuelles dans les productions cinématographiques hollywoodiennes à cette époque, aux vues des nombreux sous-entendus érotiques et des répliques grivoises qui traversent les dialogues. Vingt ans avant le Lolita de Stanley Kubrick, le cinéaste transgresse la pudibonderie ambiante et la censure avec une finesse, une audace et un culot qui impressionne pour le jeune metteur en scène qu’il est alors.
Qu’ils s’agissent de la métaphore du canon comme objet phallique ou de l’envie bon enfant et enjoué du Major Kirby d’expliquer « les choses de la vie » à une fillette de douze ans qui en a en fait le double – cette dernière éprouvant un désir ardent qui se devine aisément sur son visage suite au propos de son faux oncle, on jubile tout autant qu’on s’étonne à rire de situations vraiment troublantes et licencieuses qui laissent, au final, très peu de place à l’ambiguïté. Dans le même registre et le même ton décomplexé, je me souviens avoir eu les mêmes impressions et ressentis devant le La folle ingénue (1946) d’Ernst Lubitsch sortit quelques années plus tard et qui est, au passage, mon film préféré du cinéaste.
La danseuse et chanteuse Ginger Rogers, qui a dans les premiers temps illuminé les années 30 en jouant dans de nombreuses comédies musicales avec pour partenaire l’élégant et mythique Fred Aster, trouve là son premier rôle ‘sérieux’ dans le personnage de Susan Applegate ou elle montrera au monde entier qu’elle est aussi capable de jouer la comédie. Si on la voit danser les claquettes le temps d’une séquence particulièrement drôle, on retiendra d’elle surtout ce fantastique et éblouissant visage qui parvient presque à nous faire oublier qu’elle a bel et bien trente ans lors du tournage !
Billy Wilder joue autant avec elle que elle avec nous, et à bien des égards, on devine – avec le travestissement et les nombreux déguisements de l’héroïne – le Certains l’aiment chaud (1959) en gestation qui sera considéré comme l’un de ses grands chefs-d’oeuvre, à l’instar de Assurance sur la mort (1944) et Boulevard du crépuscule (1950). Il tourne même en dérision l’influence du cinéma hollywoodien et du starsystem sur la jeunesse, puisque nous verrons des jeunes filles de l’école voisine toutes affublées de la coiffure de Veronica Lake lors d’un bal : la coupe de cheveux de l’actrice, qui contribua à sa renommée, avait d’ailleurs été vivement critiquée par le pouvoir en place car des ouvrières s’en inspiraient pour se coiffer de la sorte sur leur lieu de travail (3).
Là ou l’on sent la fibre toute européenne du cinéaste, c’est qu’il prend grand soin de tous ses seconds rôles. Les personnages féminins sont extrêmement bien écrits : autour de Sousou – surnom du personnage de Rogers en fillette, gravitent deux femmes aux tempéraments et caractères bien différents. La future femme du Major Kirby, Pamela Hill, est l’incarnation de la femme fatale avide de pouvoir qui recherche uniquement une bonne situation tandis que sa jeune soeur Lucy, lucide et intelligente, préfère s’émanciper socialement en espérant devenir une savante. Elle est d’ailleurs la seule à deviner le petit jeu de Susan et ne dira rien aux ‘adultes’, car tous sont beaucoup trop préoccupés par leur carrière, leur ambition personnelle ou par les mines chafouines et faussement ingénues de la ravissante Sousou qui chamboule le petit monde de l’armée, lieu ou se situe le plus gros de l’action.
Wilder signe avec Uniformes et jupon court une comédie irrésistible et intemporelle qui n’est pas sans évoquer la qualité des oeuvres de Ernst Lubitsch himself, le grand spécialiste de la comédie sophistiquée américaine qui, en plus d’en avoir érigé les codes et composé le langage, lui en a donné ses lettres de noblesses. Billy Wilder lui voue d’ailleurs une grande admiration et son influence est évidente sur ce film et sur son propre style qu’il affinera au fil des années, tout en tournant subtilement en dérision les comportements virils et fiers des jeunes soldats mais aussi des hommes en général, puisque c’est à cause de leur goujaterie et de leur obsession libidineuse que Susan voudra quitter New-York et rentrer chez elle.
Se moquant ainsi du comportement sexuel des hommes qui refusent de voir la femme qu’elle cache sous son personnage de la jeune Sousou, le cinéaste signe une oeuvre charnière et emblématique qui n’a pas vieilli d’un poil dans son efficacité narrative, son humble facture et son humour aussi troublant qu’irrévérencieux.
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Ecrit et publié par Mathieu Breuillon
(1) – Voir la page wikipédia de Billy Wilder.
(2) – Genre majeur de la comédie américaine ultra codifié qui s’épanouit dans les années 30 et disparaît en partie dans les années 40. Voir définition complète sur wikipédia.
(3) – Voir ‘Biographie’ de l’actrice sur le site wikipédia.
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