U.S.A., UK – Romance, drame – Date de sortie : 03/06/2015 – Durée : 01h59 – titre original : FAR FROM THE MADDING CROWD
Avec : Carey Mulligan, Matthias Schoenaerts, Michael Sheen, Juno Temple
Résumé : Dans la campagne anglaise de l’époque victorienne, une jeune héritière, Bathsheba Everdeene doit diriger la ferme léguée par son oncle. Femme belle et libre, elle veut s’assumer seule et sans mari, ce qui n’est pas au goût de tous à commencer par ses ouvriers. Bathsheba ne se mariera qu’une fois amoureuse. Qu’à cela ne tienne, elle se fait courtiser par trois hommes, le berger Gabriel Oake, le riche voisin Mr Boldwood et le Sergent Troy.
Cette oeuvre émouvante du cinéaste danois Thomas Vinterberg, reconnu pour être le fondateur avec Lars von Trier du Dogme95, est un brillant hommage à un pan de son cinéma nordique : difficile, en effet, de ne pas penser au somptueux et dépouillé Elvira Madigan de Bo Wilderberg qui composait lui aussi un romantisme naturaliste tout à fait saisissant. La captation et le travail sur la lumière naturelle et la précision des cadrages sont à la fois purs et éblouissants, me rappelant au passage que c’est d’abord et surtout ce cinéma là que j’aime et que je défends.
Les images de synthèses n’auront jamais cet impact sur moi, la mise en scène originelle, sensorielle et sentimentale de Vinterberg faisant écho à ce qu’il y a de plus viscéral et sensible chez l’être humain : sa stylisation porte un très beau récit intimiste au service de la passion et de la raison dans le décor de l’Angleterre victorienne et rurale du XIXème siècle.
J’ai aimé tous ces non-dits éloquents et puissants aussi importants et essentiels que ces dialogues profonds et troublants (parfois violent !), toujours dans cette volonté de montrer ce qu’il y a de noble et complexe en l’homme … et la femme ! Carey Mulligan commence d’ailleurs à gagner en maturité : son visage, dont les traits sont moins doux qu’avant (son côté poupon et fragile ne me fascinait guère jusqu’à présent), sied à merveille à son personnage. Comme dans l’un de ses précédents films (Shamede Steve McQueen), on la verra pousser la chansonnette le temps d’une scène particulièrement belle et émouvante, accompagné par l’un de ses prétendants qui posera une voix grave et chaude sur son timbre clair, fluet et limpide.
Finalement, Loin de la foule déchaînée nous rappelle à quel point ces gens là nous ressemblent beaucoup dans leur manière d’essayer d’exprimer leurs nombreux tourments, désirs et interrogations qui les animent. Mais je ne dirais rien de plus … C’est une oeuvre à voir, à écouter, à ressentir, à éprouver, à réfléchir, à méditer, et il serait dommage de passer à côté d’un film qui exalte avec autant de justesse et de simplicité notre nature profonde.
Le seul reproche à faire viendrait peut être de l’histoire elle même qui manque d’ampleur, d’enjeux dramatique plus passionnant et de densité romanesque : plutôt centrée sur ses personnages – la caméra sait parfaitement s’effacer derrière eux, la frugalité du récit l’empêchera sûrement de résister à une seconde vision.
Origine : U.S.A. – Genre : Biopic, drame – Date de sortie : 08/01/2014
Avec : Amanda Seyfried, Peter Sarsgaard, Sharon Stone, Juno Temple
Résumé : A la fin des années 60, Linda étouffe au sein de sa famille que sa mère, aussi rigide que ses principes religieux, dirige d’une main de fer. C’est une belle fille de 20 ans, prête à embrasser la vie avec enthousiasme malgré sa timidité et sa naïveté. Quand elle rencontre Chuck Traynor, elle ne résiste pas à son charisme viril, quitte le domicile familial pour l’épouser et fait auprès de lui l’apprentissage d’une liberté qu’elle soupçonnait à peine.
Chuck la persuade de ses multiples talents et l’incite à se laisser filmer lors de leurs ébats. Amoureuse et soumise, elle accepte de jouer quelques scènes d’un film pornographique. Quelques mois plus tard, en juin 1972, la sortie sur les écrans de GORGE PROFONDE fait d’elle du jour au lendemain une star unique. Vivement encouragée par Chuck, Linda saisit à bras-le-corps sa nouvelle identité de reine de la liberté sexuelle.
« Quand elle m’a avalé en entier, je me suis demandé si j’allais m’en sortir vivant… J’ai regardé autour de moi : les yeux de Gerry (le cinéaste) lui sortaient de la tête, et le caméraman avait la mâchoire inférieure sur les chaussures… ». Voilà les propos que tint l’acteur Harry Reems après l’inaugural sleight of throat – le tour de force glottique (1) – de Linda Lovelace, première grande vedette du X dans le film Gorge profonde (Deep Throat – 1972) réalisé par Gerard Damiano.
Produit en 2005, le documentaire Inside Deep Throat revenait sur ce film culte qui, en même temps d’introniser Linda Lovelace dans un genre très controversé, connu un succès phénoménal qui dépassa largement les intentions premières des producteurs. Tourné en six jours à Miami pour un budget ridicule d’à peine 50 000 dollars (dont 25 000 pour la musique), Deep Throat rapporta 600 000 dollars à travers le monde. Interdit dans 23 états lors de sa sortie salle, la censure n’empêcha pas le film de devenir un véritable phénomène culturel qui initia la mode du ‘porno chic’ et contribua à l’évolution des moeurs aux Etats Unis. (2)
Lovelace, quatrième adaptation cinématographique de la vie d’une vedette de film pornographique, retrace le parcours de l’actrice qui s’étale sur une douzaine d’année de la fin des années 60 au début des années 80. Ron Howard (Appolo 13, Willow) fut le premier à s’emparer du sujet en voulant adapter Ordeal, le livre autobiographique de Linda Lovelace (de son vrai nom Linda Susan Boreman) sortit en 1980, ou l’actrice dénonçait l’enfer qu’elle vécut en obéissant aveuglément aux volontés de son ancien époux et manager Chuck Traynor qui l’obligea à tourner la fameuse scène de fellation profonde (dans son livre, elle ira jusqu’à déclarer : « À chaque fois que quelqu’un regarde Gorge Profonde, il me voit en train d’être violée. C’est un crime qui est en train de se dérouler dans ce film ; j’avais un revolver sur la tempe, tout le temps »).
Le projet tomba finalement entre les mains de Rob Epstein et Jeffrey Friedman – producteurs et réalisateurs de documentaires depuis 1987 – remarqués par leur film Howl sortit en 2009 qui traite de la naissance du mythe Allen Ginsberg, véritable héros de la contre-culture américaine et initiateur de la Beat Generation. Habitués à la biographie et à la culture underground de leur pays, ces deux cinéastes paraissaient les auteurs appropriés pour réaliser ce portrait d’une jeune femme ordinaire devenue une icône du jour au lendemain, qui permit également à ce genre cinématographique de sortir définitivement de sa marginalité.
Si les noms d’Olivia Wilde et Kate Hudson ont circulé pendant quelques temps, c’est finalement la belle Amanda Seyfried qui décrocha le rôle. En enchaînant avec son rôle de Cosette dans la comédie musicale Les misérables tournée l’année précédente, il est pertinent de souligner qu’elle se retrouve une nouvelle fois à incarner une femme qui se fait totalement exploiter par son milieu. Le rôle de Linda lui tenait en tout cas à coeur puisque, pour le première fois, elle participa à la production d’un film.
Autant l’avouer tout de suite, Lovelace n’est pas un bon film. S’il est parfaitement louable dans ce qu’il dénonce, à savoir le statut de la femme victime à la fois de violence conjugale et du sexisme et de la misogynie dans le milieu pornographique, les cinéastes sont malheureusement trop attachés à la forme simpliste du documentaire pour tenter de retranscrire l’horreur subit par Linda.
Pourtant, la pudeur l’emporte toujours sur l’ostentation et le racolage mais ce choix réaliste de la mise en scène accuse davantage un manque de réel point de vue plutôt que d’un style complètement assumé. Au fond, Epstein et Friedman font ce qu’ils savent faire le mieux : une reconstitution convaincante des années 70 très immersive, renforcée par une image granuleuse à souhait qui s’évertue surtout à faire vivre une époque révolue à l’écran.
Au delà de la forme, le récit tente une approche vraiment intéressante qui ne fera malheureusement pas oublier tout les défauts scénaristiques du film. Au milieu de l’histoire, le récit opère un retour en arrière subtilement orchestré puisqu’il invite le spectateur à regarder un nouveau film avec de nouvelles ellipses. Après une première partie totalement édulcorée, ce levé de rideau montre cette fois ci ce qu’on ne percevait pas hors champs et qui, pourtant, existait bel et bien : Linda ne faisait pas tout cela de son plein grès mais elle y était contrainte et forcée.
Le glamour de certaines séquences perdent alors de leur saveur et cette nouvelle lecture invite en même temps le spectateur à s’interroger sur la nature trompeuse des images qui, au premier abord, semblaient lui montrer la réalité. Cet exercice de style ou s’oppose l’illusion (la première partie) et le réel (la deuxième, qui est une relecture de la première) au sein du scénario illustre assez bien la représentation de l’acte sexuel dans la production pornographique : il n’a souvent rien de réel dans ses pratiques et son but principal est de produire avant tout du fantasme. Rendre réaliste des choses qui ne le sont pas est d’ailleurs le grand pouvoir du cinéma, et Lovelaceessaye de tirer son épingle du jeu en exploitant ce terrain là ….
…. Mais encore une fois, Epstein et Friedman n’ont pas le talent nécessaire pour structurer et densifier cette belle idée de mise en scène qui aurait du faire de Lovelaceune oeuvre brillante et vraiment originale. En échouant là ou ils n’auraient pas du, le film s’engouffre fâcheusement dans une intrigue univoque agencée par un manque flagrant de densité dramaturgique. Les cinéastes se contentent juste de mettre en image le script audacieux mais inégal d’Andy Bellin (Trust – 2010), sans jamais vraiment développer le monde sordide et fascisant dans lequel Linda évolue.
Pourtant, si la maladresse des enjeux dramatiques semble évidents par ses développements confus et discordants, Lovelaceparvient étrangement à attirer la sympathie par son propos (à la fin du film, j’ai trouvé les retrouvailles entre Linda et sa mère très émouvants) et son actrice qui réussissent miraculeusement à faire oublier ces nombreux défauts de fabrication. En effet, le jeu sobre et toute en nuance d’Amanda Seyfried sont sans contexte le point fort du film. On regrette juste que les cinéastes ne parviennent jamais à faire ressentir le drame psychologique que vit l’héroïne.
A noter aussi l’incroyable prestation de Sharon Stone absolument méconnaissable dans le rôle de la mère de Linda. Un choix d’actrice assez judicieux qui embrasse plutôt bien la thématique principale – l’exploitation de la femme au cinéma – quand on sait l’icône sexuelle qu’elle a été dans les années 90, notamment grâce au sulfureux et mémorable Basic Instinct (1992) de Paul Verhoeven qui l’a révélé au grand public et avait fait d’elle une star (à l’instar de Linda Lovelace à son époque) pour sa performance inoubliable de femme fatale.
Pour conclure, si Lovelace reste moral et sincère dans le fond et intéressant mais imparfait dans la forme, le film souffre malheureusement de la linéarité de son point de vue et de son manque d’ambition. La pornographie en tant que sujet restebeaucoup trop en retrait car seul le statut victimaire de Linda Lovelace est exploitée. La relation entre la mère et la fille aurait également mérité plus d’attention et un meilleur traitement, car la mère est elle aussi une victime de la phallocratie américaine. Et plus important encore, la réalisation beaucoup trop minimaliste et suffisante ne rend pas du tout justice à Linda Lovelace, qui elle, contrairement au film, restera dans les mémoires …
L’unique point positif à retenir est l’implication sincère d’Amanda Seyfried qui n’a pas peur d’apparaître au naturel sans trop de maquillage. Plutôt que d’afficher son statut de star, l’actrice préfère s’effacer humblement derrière son personnage en mettant simplement en avant son image de femme au service du film … Elle est en tout cas la seule professionnelle de l’équipe à bien faire son travail jusqu’au bout sans erreur de partition et de composition !