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U.S.A. [2015] – Aventure, western, thriller – Date de sortie : 24/02/2016 – Durée : 02h36
Avec : Leonardo DiCaprio, Tom Hardy, Domhnall Gleeson, Will Poulter
Résumé : Dans une Amérique profondément sauvage, Hugh Glass, un trappeur, est attaqué par un ours et grièvement blessé. Abandonné par ses équipiers, il est laissé pour mort. Mais Glass refuse de mourir. Seul, armé de sa volonté et porté par l’amour qu’il voue à sa femme et à leur fils, Glass entreprend un voyage de plus de 300 km dans un environnement hostile, sur la piste de l’homme qui l’a trahi.
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THE REVENANT – Grizzly man
Un an après avoir impressionné le monde entier avec Birdman et ses vertigineux (mais faux) plan-séquences, Alejandro G. Inarittu nous revient avec une histoire et un décor toujours liés à l’Amérique et son héritage cinématographique. Après avoir arpenté les coulisses d’un théâtre de Broadway, le cinéaste mexicain aventure cette fois-ci sa caméra dans l’ouest sauvage pour nous immerger dans une nature mythologique et tellurique avec une esthétique éblouissante qui n’est pas sans rappeler les fulgurances visuelles de son avant dernière oeuvre.
Si les plan-séquences ont une place prépondérante dans ses choix de mise en scène, c’est davantage la grande focale anamorphosée et le travail sur la lumière qui donne à The revenant toute sa superbe. Le directeur de la photographie Emmanuel Lubezki, dont le génie n’est plus à prouver, n’en est pas à son premier coup de maître car on a pu contempler et s’émerveiller de son talent dans les films de Terrence Malick – Le nouveau monde (2005) et Tree of life (2001), et Alfonso Cuaron sur la plupart de ses oeuvres de La petite princesse (1995) à Gravity (2013), en passant par Y tu mama tambien (2001) et Les fils de l’homme (2006).
Visuellement, ce western crépusculaire fera date dans l’histoire du cinéma. Rarement une nature m’aura paru autant vibrante et vivante que sous les yeux d’Inarittu et Lubezki ! Ces majestueux paysages hivernaux qui s’étendent à l’infini nous paraissent tour à tour sublimes et oppressants et s’imposent avec un tel impact à notre esprit qu’on est véritablement happé par la force et la beauté des images. Comme le trappeur Hugh Glass, nous évoluons nous aussi dans cette nature froide, sauvage, inhospitalière et enneigée ! Magnifiée par des tons gris et bleutés, enveloppée dans des atmosphères brumeuses et spectrales, elle est d’ailleurs un personnage à part entière si bien que les forces chaotiques et primitives inhérentes à cette dernière et magistralement restituées par Inàrittu génèrent des climax absolument saisissants.
Pour s’en convaincre, il suffit de voir comment le cinéaste illustre cette violence dans la toute première scène de combat. A travers un plan séquence fabuleux tourné dans les sous bois d’une forêt marécageuse, sa caméra mouvante passe sans arrêt du point de vue indien et américain ou les corps tombent et se déchiquettent à tour de rôle sous les flèches, les balles des armes à feux et les coups de masses. Cette prose visuelle mortifère et barbare ou l’humanité, dans ses valeurs et ses affects, est quasiment inexistante, résonnera pendant les deux heures quarante de film ! Ce qui n’empêchera pas pour autant les auteurs d’aborder l’imagerie mystique et religieuse à quelques reprises.
A la croisée du film d’aventure, du revenge movie et du survival, The revenant rappelle aussi tout un pan du cinéma spectaculaire qui vise à reproduire la grandeur et la beauté du monde sur grand écran, comme ont pu le faire par le passé Murnau, Cecil B. Demille, Victor Fleming ou David Lean dans l’âge d’or du cinéma classique, lorgnant du côté des russes Tarkovski ou Klimov (dont l’intensité des scènes m’ont beaucoup évoqué son chef d’oeuvre Requiem pour un massacre (1985)) pour la puissance de ses images qui semblent parfois déborder du cadre.
Mais qu’en est il au juste du fond et du scénario de ce film ?? Je dois bien avouer qu’environ à la moitié du film je commençais un peu à m’ennuyer car les enjeux, aussi simples et crédibles soient il, patinent et s’éternisent au point de n’avoir eu plus beaucoup d’intérêt pour la croisade vengeresse de Hugh Glass. The revenant fini presque par lasser par l’aspect démonstratif de sa mise en scène et la répétition de certains événements qui rallongent et alourdissent une histoire qui aurait assurément mérité d’être plus courte.
Si un flashback nous explique les motivations et les tourments d’Hugh Glass et de son fils, certaines hallucinations viennent parasiter le récit qui ajoutent un mysticisme et une spiritualité qui, eux, peinent à convaincre. A vouloir manger à tous les râteliers, The revenant prêche par son orgueil à vouloir nous éblouir à chaque instant, préférant ainsi nous asphyxier de sa grandeur et de sa prouesse technique sans parvenir à insuffler – sur la longueur totale du film – une âme à cette nature transfigurée.
Dans son dispositif, le film se veut à la fois intimiste et épique. Mais l’absence de tension psychologique et mon désintérêt croissant pour la proposition de cinéma du cinéaste retentissent avec plus d’intensité quand je constate que seules l’intéressent les successions de séquences spectaculaires alignant les moments de bravoure et les exploits surhumains. Je ne serais même plus du tout étonné par le manque de souffle – avec toute la subjectivité que cela implique – de The revenant dans le dernier tiers quand je compris alors ce que néglige le cinéaste et qui me semble primordial et essentiel : le montage. C’est cela même qui donne du rythme et de la respiration à une oeuvre et l’obsession qu’il a du plan long, du plan séquence et de l’esthétique de ses plans rendent sa démarche, à mes yeux, caduc, gratuite et donc voué à l’échec.
Avec le recul, je me souviens avoir eu davantage des sensations de jeux vidéos que des sensations cinématographiques. Mais le plus choquant à mes yeux ce sont les ressources inépuisables et la foi inébranlable d’Hugh que rien n’arrête. C’est bien simple, plus il tombe, moins il craint la douleur … Le corps du héros sera donc maintenu en vie exclusivement par sa volonté viscérale de retrouver l’assassin de son fils, à savoir John Fitzgerald interprété par Tom Hardy.
Bravant la mort comme aucun être humain ne pourrait le faire, Hugh Glass outrepasse tellement ses capacités physiques qu’il devient difficile de croire à une telle résistance quelle que soit ses motivations et aussi profondes soient elles. Pourquoi est ce un gros problème ? Parce que c’est le discours et le nerf du film ! En plus de survivre aux attaques dévastatrices d’un ours – assurément la scène la plus sidérante et intense du film – on le verra se sortir quasiment indemne d’une chute tellement énorme (je parle de plusieurs dizaine de mètres !!) qu’elle m’a coupé l’envie de voir le héros réussir sa quête.
La mise en scène, qui fini par n’exister et ne briller que pour elle même, finit par lénifier autant le spectateur que la soif de vengeance d’Hugh qui avance tel un super héros vers son objectif final. Les acteurs ne m’ont d’ailleurs pas paru extraordinaire. DiCaprio, sans être mauvais, joue sans trop de génie son personnage en gesticulant de douleur une bonne partie du film. Quant à Tom Hardy, on peut dire qu’il vole la vedette au roi Léo qui, décidément, ne m’a jamais vraiment convaincu par ses performances contrairement à Hardy qui, lui, m’impressionne de plus en plus. Et cerise sur le gâteau, je n’ai pas aimé la fin …
[SPOIL] Comme on s’en doutait aisément, il affronte son ennemi dans un duel endiablé et, comme toute personne qui recherche à la fois la rédemption et la paix intérieur, ne l’achèvera pas de ses propres mains, préférant le laisser aux indiens qui justement passaient par là et avec qui John a fait une mauvaise affaire précédemment dans l’histoire : ridicule. Juste avant que tombe le générique, la femme d’Hugh apparaît alors de nouveau sous une forme angélique et le regarde paisiblement comme pour approuver sa victoire spirituelle et sa soudaine félicité.
Personnellement, si j’avais été le scénariste, non seulement je lui aurais fait occire son ennemi, mais en plus, je ne l’aurais pas fait survivre à ses blessures. Après avoir survécu à l’enfer et à la dureté de la nature et de sa faune, l’ironie et le tragique de sa quête obsessionnelle aurait été beaucoup plus en phase avec la démarche artistique d’Inarittu s’il avait trouvé la mort. Quitte à faire de la nature un personnage – c’est en tout cas mon sentiment vu la place qu’elle occupe dans l’espace du cadre, autant lui donner le premier rôle et en faire le tombeau du héros car c’est bien elle qui est mis en valeur du début à la fin et non Hugh Glass ! N’étant pas en phase avec tous les aspects artistiques et techniques de The revenant, je ne peux que bouder le film malgré la radicalité et le jusqu’auboutisme de sa mise en scène.[FIN DE SPOIL]
Le parcours mental et physique du protagoniste perd tellement de sa substance à mesure que l’intrigue avance que la réalisation m’est apparu alors comme racoleuse et complètement vaine dans la contextualisation de son scénario. Seul l’intéresse la dimension mythologique et symbolique de son récit au point de répéter toutes ses figures iconographiques qui vont de la résurrection, du chemin de croix, la purification par l’eau ou encore à la position foetale dans le corps éviscéré de son cheval, sans qu’elles s’inscrivent organiquement dans une logique dramatique.
Alors qu’elle nous stimulait et nous émerveillait dans un premier temps, la mise en scène se transforme en poudre aux yeux dans sa dernière partie, aussi virtuose soit elle. C’est tout de même assez triste qu’Inàrittu se soit laissé séduire à ce point par les possibilités techniques pour nous en mettre plein la vue en négligeant à ce point son scénario ! Si Birdman, au delà de sa maestria, fonctionnait c’est parce qu’il y avait une vraie histoire aux enjeux clairs et évolutifs ainsi qu’une multitude de personnages interprétés par des acteurs fabuleux qui étaient vecteur d’émotion.
The revenant me semble être l’exercice de style de trop ! S’il est plutôt cohérent dans sa filmographie dans son maniérisme formelle et son rapport extrême au corps qui le rapproche de Biutiful (2010), le cinéaste est sur une pente glissante car j’ai vraiment le sentiment qu’il a fait ce film pour davantage séduire le tout Hollywood – qui l’avait consacré l’année dernière avec Birdman – et en s’oubliant lui même dans cette histoire qui, je trouve, s’inscrit dans une tradition beaucoup trop américaine et l’éloigne encore plus de ses racines mexicaines.
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Ecrit et publié par Mathieu Breuillon
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