France – Romance, drame (01h42) – Date de sortie : 23/09/2015
Avec : Golshiftheh Farahani, Louis Garrel, Vincent Macaigne
Résumé : Clément, figurant de cinéma, est fou amoureux de Mona, vendeuse dans une sandwicherie de la gare du Nord. Mais Mona a un secret, qui la rend insaisissable. Quand Clément désespère d’obtenir ses faveurs, son seul et meilleur ami, Abel, vient l’aider. Ensemble, les deux amis se lancent dans la conquête de Mona.
AVIS: Le film porte bien son titre. Car si la belle Mona est au centre de tout les (d)ébats, Louis Garrel – aidé de Christophe Honoré à l’écriture – dont c’est le premier film derrière la caméra s’intéresse exclusivement à parler du lien élastique, saugrenu et sincère qui unit ses deux garçons. Car Abel et Clément sont des marginaux dans toute leur splendeur. Des loosers magnifiques parfaitement imparfaits qui se laissent guider par l’insaisissable et mystérieuse Mona, dont Clément est tombé profondément amoureux.
Les deux amis n’ont l’air de se satisfaire que de leur petite vie et cela leur suffit. D’ailleurs, ils sont les seuls à exister à l’écran et quand ils sont face à des institutions comme la police ou l’hopital, on comprendra vite qu’ils vivent dans leur monde, qu’il n’existe qu’eux et, plus important encore puisqu’il s’agit vraiment du sujet, qu’il n’existe que pour l’un et pour l’autre. Ils sont dépendants l’un de l’autre et leur relation va battre de l’aile quand Mona va entrer dans leur vie.
Mona étant l’élément perturbateur, Garrel ouvrira son film sur elle pour bien nous faire comprendre d’où elle vient et ce qu’il en retourne de son comportement quand elle fera la rencontre des deux amis. L’histoire entre Clément et Mona a d’ailleurs déjà commencé hors champs, et c’est par des flashbacks et après l’introduction que l’histoire commence sur une relation qui, au premier abord, est déjà terminé. Mais il n’en sera rien …
Ce qui m’a plus dans ce film c’est que leur instabilité émotionnelle et leurs coups de sang sont la force du récit. Ils nous emmènent avec eux, on vit ce qu’ils vivent pour le meilleur et pour le pire. Ils se découvrent en même temps qu’ils apprennent à vivre cette nouvelle expérience. Clément, qui parfois peut agacer, est tellement hypersensible et à fleur de peau qu’il n’a jamais de recul sur sa vie et ses actions. Il vit presque son amour comme une maladie. Il s’en prend alors à son ami et testeront ensemble leur amitié, Mona étant, même latent, toujours au centre de leur échange.
Si le film trouve vite ses limites dans ses enjeux, on se laisse totalement séduire et enchanter par cette aventure touchante et pittoresque ou le coeur et le sensible l’emporte sur la raison, d’autant plus que le trio est magnifié par l’élégance et la fluidité de la mise en scène. Si cette belle tranche de vie ne nous apportera pas grand chose sur les relations humaines, cette peinture des affects en mouvement sur un air tragi-comique est d’une telle authenticité qu’on retiendra l’essentiel : c’était avant tout une histoire émouvante, simple et agité de Deux amis qui ne peuvent compter sur rien d’autre que sur eux mêmes … C’est donc déjà dire beaucoup !
France – Romance, drame – Date de sortie : 19/08/2015
Avec : Cécile de France, Izïa Higelin, Noémie Lvovsky, Kévin Azaïs, Laetitia Dosch
Résumé : 1971. Delphine, fille de paysans, monte à Paris pour s’émanciper du carcan familial et gagner son indépendance financière. Carole est parisienne. En couple avec Manuel, elle vit activement les débuts du féminisme. Lorsque Delphine et Carole se rencontrent, leur histoire d’amour fait basculer leurs vies.
LA BELLE SAISON – Delphine est une couleur chaude …
Il était une fois un film qui n’avait aucune exposition médiatique et qui pourtant possédait toutes les qualités d’une grande oeuvre. Si la présence de Cécile de France et de Noémie Lvovsky aurait pu me mettre la puce à l’oreille, jamais je n’aurais imaginé prendre autant de plaisir devant la séance de ce film qui mériterait, il faut bien l’avouer, qu’on parle davantage de lui. Noyé sous les blockbusters U.S. estivaux, c’est le pire poison dont puisse souffrir un tel film !
A la fois manifeste féministe et film de rencontre, l’oeuvre de Corsini (Partir, Trois mondes, Les ambitieux … et c’est le premier film que je vois de cette cinéaste française) est d’une justesse folle dans sa manière de décrire les relations humaines, ne tombe jamais dans la caricature et s’amuse même avec les clichés, tout en étant d’une grande subtilité dans les dialogues et l’écriture, au point de carrément sublimer le film de romance. Qualifiant elle même son film de ‘Brockback Mountain au féminin‘, il faut aussi souligner à quel point il y a un vrai regard sociologique dans sa manière de retranscrire les événements de la France du début des années 70.
En effet, les thématiques foisonnantes et les sujets complexes qui sont abordés à savoir la sexualité féminine, l’émancipation des individus, le mode du vie urbain en opposition au mode de vie rural, le syndicalisme et la pensée collectiviste naissante, le portrait et le statut des femmes en cette période post68, l’avancé de l’état de droit contre le modèle (joug ?) patriarcal, sont toujours en arrière plan et ne viennent jamais alourdir le récit d’une fluidité incroyable et qui laisse la part belle à ses personnages.
Au milieu de ce monde en pleine mutation, Delphine (Izïa Higelain) et Carole (Cécile de France) se rencontrent un peu par hasard et leur relation vont se complexifier au point de les transformer et de changer leur vie, que se soit sentimentalement, professionnellement et donc humainement.
La grande force de La belle saison vient de toutes ses interactions ou se mélangent à la fois l’envie des héroïnes de s’émanciper, de rechercher le bonheur, de s’offrir coeur et âme avec son amoureuse/son amante, tout en se questionnant sur le devoir familiale et la responsabilité (pour le personnage de Delphine … devoir qui n’est pas rien, surtout dans le monde paysan !), sur notre nature profonde – comprendre et savoir d’ou l’on vient et ou l’on va, et la volonté et le besoin de s’affirmer afin de trouver sa voie sans y laisser trop de plume (même s’il le faut parfois !) et encore moins se laisser influencer par le regard et les préjugés de « l’autre », cet autre n’étant même jamais diaboliser.
Sans révolutionner le septième art, la subtilité et la reconstitution des échanges ainsi que la justesse et le talent d’observateur des auteurs sont clairement la grande qualité de ce film ! C’est fascinant à quel point la cinéaste refuse toute posture pour simplement nous conter une romance avec ses codes et ses enjeux. Avec le recul, on pourrait méditer sur de nombreuses scènes tant elles convoquent avec brio et simplicité la complexité du ‘vivre ensemble’, ainsi que les conséquences que peut avoir nos actes et nos choix sur la vie des autres. Les acteurs sont d’ailleurs tous d’une affolante authenticité, on se sent proche de toutes les personnes.
Je ne sais pas si c’est moi, mais je trouve qu’Izïa Higelin a d’ailleurs des faux airs d’Adèle Exarchopoulos – elles possèdent la même sensualité brut et une allure à la fois sauvage et décontractée – et il est donc très tentant de comparer La belle saison à La vie d’Adèle avec qui le film partage d’évidents points communs. Personnellement, je préfère de loin la forme et les intentions de Corsini qui laisse son histoire s’épanouir le plus naturellement du monde, au point de totalement s’effacer derrière son sujet.
Quant à Cécile de France, énergique, sensible, lumineuse et engagée, et Noémie Lvovsky, sobre mais entière, taiseuse mais lucide, elles continuent de m’émerveiller et de m’impressionner par leur jeu toute en nuance et en finesse. Au final, je suis vraiment admiratif devant cette petite histoire qui raconte de grandes choses : j’ai d’ailleurs déjà très hâte de le revoir. Bref, une vraie surprise !
Italie, France, UK – Fantasy, romance, drame – Date de sortie : 01/07/2015 – Titre original : TALE OF TALES
Avec : Salma Hayek, Vincent Cassel, Toby Jones, John C. Reilly
Résumé : Il était une fois trois royaumes voisins où dans de merveilleux châteaux régnaient rois et reines, princes et princesses : un roi fornicateur et libertin, un autre captivé par un étrange animal, une reine obsédée par son désir d’enfant … Sorciers et fées, monstres redoutables, ogre et vieilles lavandières, saltimbanques et courtisans sont les héros de cette libre interprétation des célèbres contes de Giambattista Basile.
Le film de Matteo Garrone déploie, dans cette adaptation d’histoires provenant d’un recueil italien nommé Pentamerone et écrit au XVIIème siècle par le napolitain Giambattista Basile, un imaginaire baroque et foisonnant qui a le mérite de proposer un conte-live tranchant sévèrement avec ce que l’on a l’habitude de voir sur nos écrans : ce Conte des contes m’a en tout cas séduit dès les premières images. De cette atmosphère solennelle, crue, sombre et prosaïque émane un parfum de mystère qui nous fait pénétrer dans un univers à la fois lointain et familier, marque Ô combien typique des contes de fée qui ont bercé notre enfance.
Si le cinéaste italien lorgne du côté d’un Guillerme del Toro avec qui il partage – en tout cas sur ce film – un goût prononcé pour les récits fantastiques, les effets spéciaux artisanaux, ainsi que pour les créatures à la fois fascinantes et monstrueuses qui se cachent à l’intérieur d’un château ou dans des décors montagneux et forestiers, sa mythologie poétique et fabuleuse se rapproche davantage des contes traditionnels du moyen âge et d’un courant pictural européen qui l’éloigne pour le coup du mexicain. La photographie est d’ailleurs assurée par Peter Suschitzsky, le chef opérateur attitré de David Cronenberg : son travail sur la lumière naturelle ajoute une véracité indéniable aux images qui défilent sous nos yeux.
Le traitement sobre, mature et naturaliste de Garrone fait un véritable pied de nez aux productions récentes qui misent uniquement, il faut le dire, sur le spectaculaire – soit un feu d’artifice d’images synthétiques toutes plus ostentatoires les unes que les autres – pour assouvir les soit disant désirs du spectateur, ce dernier étant considéré comme une oie qu’il faudrait à tout prix gaver d’effets spéciaux pour qu’il soit rassasier ou qu’il en ait pour son argent.
Ici, rien de tout ça ! Seul compte la dimension littéraire de l’ouvrage qu’il adapte avec un respect évident pour le matériau d’origine, tant il se met au service de son histoire. L’enchantement du film provient bel et bien de l’imaginaire invoqué par le cinéaste – c’est à dire sa fantasy insolite et surprenante, son bestiaire cauchemardesque et ses thématiques sur les obsessions destructrices – et non par des procédés artificiels en faisant appel uniquement au numérique pour assurer le spectacle, même s’ils ont eut recours aux images de synthèses sur certaines scènes. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas vu un merveilleux aussi tangible et subtil prônant un ton réaliste et tragique très proche de notre culture européenne.
Garrone prend un grand soin de tous ses personnages et c’est eux qui sont au coeur du film : l’histoire des deux soeurs et de la fille du roi qui finira mariée à un ogre à cause des lubies de son père sont toutes les deux franchement émouvantes. Reste qu’il manque une certaine ampleur dans le récit et un réel manque d’originalité dans la mise en scène : j’aurais préféré voir plus de folie à l’écran ou en tout cas un parti pris esthétique plus risqué.
Si les trois histoires peinent à s’harmoniser dans la première partie, elles s’imposeront heureusement à nous avec plus d’aisance au fur et à mesure que l’intrigue avance, jusqu’à trouver leur propre rythme et leur propre respiration. Dommage aussi que le final maladroit et expéditif ne prend pas le temps de clore correctement les enjeux dramatiques des trois arcs narratifs. Mais dans son intention initial, l’oeuvre du cinéaste italien m’a tout de même envoûté pour son caractère dense et intemporel, gardant intact et tout en retranscrivant à merveille la charge allégorique des contes traditionnels : Garrone a une grande foi en ce qu’il filme et restitue à la perfection l’essence poétique, universelle et fédératrice de ces derniers.
Finalement, je n’aurais qu’un seul véritable regret. Le cinéaste ne tente jamais d’assumer un sensualisme charnel qu’il aborde de temps à autre, mais sans vraiment en avoir totalement conscience et sans oser une théâtralité qui ne demandait qu’à s’épanouir : l’iconographie sera toujours trop timide, trop pudique et pas tellement aventureuse. Cet aspect visuel étant un poil négligé, il y a peu de chance qu’il se fasse une place dans l’histoire du cinéma, même si son charme singulier et dépaysant en fait une expérience réellement réjouissante.
U.S.A., UK – Romance, drame – Date de sortie : 03/06/2015 – Durée : 01h59 – titre original : FAR FROM THE MADDING CROWD
Avec : Carey Mulligan, Matthias Schoenaerts, Michael Sheen, Juno Temple
Résumé : Dans la campagne anglaise de l’époque victorienne, une jeune héritière, Bathsheba Everdeene doit diriger la ferme léguée par son oncle. Femme belle et libre, elle veut s’assumer seule et sans mari, ce qui n’est pas au goût de tous à commencer par ses ouvriers. Bathsheba ne se mariera qu’une fois amoureuse. Qu’à cela ne tienne, elle se fait courtiser par trois hommes, le berger Gabriel Oake, le riche voisin Mr Boldwood et le Sergent Troy.
Cette oeuvre émouvante du cinéaste danois Thomas Vinterberg, reconnu pour être le fondateur avec Lars von Trier du Dogme95, est un brillant hommage à un pan de son cinéma nordique : difficile, en effet, de ne pas penser au somptueux et dépouillé Elvira Madigan de Bo Wilderberg qui composait lui aussi un romantisme naturaliste tout à fait saisissant. La captation et le travail sur la lumière naturelle et la précision des cadrages sont à la fois purs et éblouissants, me rappelant au passage que c’est d’abord et surtout ce cinéma là que j’aime et que je défends.
Les images de synthèses n’auront jamais cet impact sur moi, la mise en scène originelle, sensorielle et sentimentale de Vinterberg faisant écho à ce qu’il y a de plus viscéral et sensible chez l’être humain : sa stylisation porte un très beau récit intimiste au service de la passion et de la raison dans le décor de l’Angleterre victorienne et rurale du XIXème siècle.
J’ai aimé tous ces non-dits éloquents et puissants aussi importants et essentiels que ces dialogues profonds et troublants (parfois violent !), toujours dans cette volonté de montrer ce qu’il y a de noble et complexe en l’homme … et la femme ! Carey Mulligan commence d’ailleurs à gagner en maturité : son visage, dont les traits sont moins doux qu’avant (son côté poupon et fragile ne me fascinait guère jusqu’à présent), sied à merveille à son personnage. Comme dans l’un de ses précédents films (Shamede Steve McQueen), on la verra pousser la chansonnette le temps d’une scène particulièrement belle et émouvante, accompagné par l’un de ses prétendants qui posera une voix grave et chaude sur son timbre clair, fluet et limpide.
Finalement, Loin de la foule déchaînée nous rappelle à quel point ces gens là nous ressemblent beaucoup dans leur manière d’essayer d’exprimer leurs nombreux tourments, désirs et interrogations qui les animent. Mais je ne dirais rien de plus … C’est une oeuvre à voir, à écouter, à ressentir, à éprouver, à réfléchir, à méditer, et il serait dommage de passer à côté d’un film qui exalte avec autant de justesse et de simplicité notre nature profonde.
Le seul reproche à faire viendrait peut être de l’histoire elle même qui manque d’ampleur, d’enjeux dramatique plus passionnant et de densité romanesque : plutôt centrée sur ses personnages – la caméra sait parfaitement s’effacer derrière eux, la frugalité du récit l’empêchera sûrement de résister à une seconde vision.
Résumé : Susan Applegate, dégoûtée par la vie new-yorkaise, décide de retourner dans l’Iowa. Cependant ses économies ne lui permettent pas de payer la totalité de son voyage. Aussi se déguise-t-elle en fillette pour bénéficier d’un billet demi-tarif. Pendant le trajet en train, traquée par les contrôleurs, elle se réfugie dans le compartiment d’un bel officier instructeur dans une école militaire. Croyant avoir affaire à une gamine de douze ans, il s’institue son protecteur. Mais voilà, le bel officier a une fiancée, qui vient le chercher à l’arrivée, et découvre, par un malencontreux hasard, la passagère fraudeuse sans son déguisement de gamine …
AVIS: premier film de Billy Wilder aux Etats-Unis, Uniformes et jupon court réalisé en 1942 annonce à la fois l’assurance du bonhomme dans la mise en scène mais aussi toutes les thématiques qui habiteront la plupart de ses films dans les années à venir : déguisements, mensonges, sexualité latente, situations équivoques et critique des institutions, des conventions et des moeurs. Produit par la société de production Paramount avec qui il travaille en tant que scénariste depuis presque cinq années, le studio lui confie, après une longue négociation (d’après ses dires dans un entretien avec Michel Ciment (1)), la réalisation de cette oeuvre qu’il adaptera avec son collègue de travail et ami Charles Brackett.
La magie de ce film provient indéniablement de l’éclat et du charme de son actrice principale, à savoir Ginger Rogers, mais aussi de son rythme précis et dynamique dans le montage du récit – impeccable et allant à l’essentiel, ainsi que de ses dialogues savoureux, ambigus et cocasses à souhaits. Le savoir faire et l’expérience de Billy Wilder parviennent à transcender cette comédie typiquement américaine par sa façon d’incorporer ses nombreuses thématiques citées plus haut sans trahir une seule seconde les codes de la screwball comedy (2) et remplir ainsi sa mission de divertissement : c’est d’ailleurs dans sa dernière partie que le film se fait plus sage et prévisible.
Par un miracle qu’on n’explique pas – sans doute est-ce du au talent inné de l’actrice accouplé à celui du metteur en scène, Ginger Rogers, qui ne ressemble aucunement à une fillette de douze ans, fait jaillir de sa fraîcheur l’aura et la naïveté d’une jeune adolescente sans trop forcer son jeu. Je me demande d’ailleurs comment le film n’a pas été censuré par le code Hayes en vigueur, souvent très à cheval sur la pudeur et les allusions sexuelles dans les productions cinématographiques hollywoodiennes à cette époque, aux vues des nombreux sous-entendus érotiques et des répliques grivoises qui traversent les dialogues. Vingt ans avant le Lolitade Stanley Kubrick, le cinéaste transgresse la pudibonderie ambiante et la censure avec une finesse, une audace et un culot qui impressionne pour le jeune metteur en scène qu’il est alors.
Qu’ils s’agissent de la métaphore du canon comme objet phallique ou de l’envie bon enfant et enjoué du Major Kirby d’expliquer « les choses de la vie » à une fillette de douze ans qui en a en fait le double – cette dernière éprouvant un désir ardent qui se devine aisément sur son visage suite au propos de son faux oncle, on jubile tout autant qu’on s’étonne à rire de situations vraiment troublantes et licencieuses qui laissent, au final, très peu de place à l’ambiguïté. Dans le même registre et le même ton décomplexé, je me souviens avoir eu les mêmes impressions et ressentis devant le La folle ingénue (1946) d’Ernst Lubitsch sortit quelques années plus tard et qui est, au passage, mon film préféré du cinéaste.
La danseuse et chanteuse Ginger Rogers, qui a dans les premiers temps illuminé les années 30 en jouant dans de nombreuses comédies musicales avec pour partenaire l’élégant et mythique Fred Aster, trouve là son premier rôle ‘sérieux’ dans le personnage de Susan Applegate ou elle montrera au monde entier qu’elle est aussi capable de jouer la comédie. Si on la voit danser les claquettes le temps d’une séquence particulièrement drôle, on retiendra d’elle surtout ce fantastique et éblouissant visage qui parvient presque à nous faire oublier qu’elle a bel et bien trente ans lors du tournage !
Billy Wilder joue autant avec elle que elle avec nous, et à bien des égards, on devine – avec le travestissement et les nombreux déguisements de l’héroïne – le Certains l’aiment chaud (1959) en gestation qui sera considéré comme l’un de ses grands chefs-d’oeuvre, à l’instar de Assurance sur la mort (1944) etBoulevard du crépuscule(1950). Il tourne même en dérision l’influence du cinéma hollywoodien et du starsystem sur la jeunesse, puisque nous verrons des jeunes filles de l’école voisine toutes affublées de la coiffure de Veronica Lake lors d’un bal : la coupe de cheveux de l’actrice, qui contribua à sa renommée, avait d’ailleurs été vivement critiquée par le pouvoir en place car des ouvrières s’en inspiraient pour se coiffer de la sorte sur leur lieu de travail (3).
Là ou l’on sent la fibre toute européenne du cinéaste, c’est qu’il prend grand soin de tous ses seconds rôles. Les personnages féminins sont extrêmement bien écrits : autour de Sousou – surnom du personnage de Rogers en fillette, gravitent deux femmes aux tempéraments et caractères bien différents. La future femme du Major Kirby, Pamela Hill, est l’incarnation de la femme fatale avide de pouvoir qui recherche uniquement une bonne situation tandis que sa jeune soeur Lucy, lucide et intelligente, préfère s’émanciper socialement en espérant devenir une savante. Elle est d’ailleurs la seule à deviner le petit jeu de Susan et ne dira rien aux ‘adultes’, car tous sont beaucoup trop préoccupés par leur carrière, leur ambition personnelle ou par les mines chafouines et faussement ingénues de la ravissante Sousou qui chamboule le petit monde de l’armée, lieu ou se situe le plus gros de l’action.
Wilder signe avec Uniformes et jupon court une comédie irrésistible et intemporelle qui n’est pas sans évoquer la qualité des oeuvres de Ernst Lubitsch himself, le grand spécialiste de la comédie sophistiquée américaine qui, en plus d’en avoir érigé les codes et composé le langage, lui en a donné ses lettres de noblesses. Billy Wilder lui voue d’ailleurs une grande admiration et son influence est évidente sur ce film et sur son propre style qu’il affinera au fil des années, tout en tournant subtilement en dérision les comportements virils et fiers des jeunes soldats mais aussi des hommes en général, puisque c’est à cause de leur goujaterie et de leur obsession libidineuse que Susan voudra quitter New-York et rentrer chez elle.
Se moquant ainsi du comportement sexuel des hommes qui refusent de voir la femme qu’elle cache sous son personnage de la jeune Sousou, le cinéaste signe une oeuvre charnière et emblématique qui n’a pas vieilli d’un poil dans son efficacité narrative, son humble facture et son humour aussi troublant qu’irrévérencieux.
(2) – Genre majeur de la comédie américaine ultra codifié qui s’épanouit dans les années 30 et disparaît en partie dans les années 40. Voir définition complète sur wikipédia.
(3) – Voir ‘Biographie’ de l’actrice sur le site wikipédia.
U.S.A. – Action, space opera, aventure, romance – Date de sortie : 04/02/2015 – Titre original : JUPITER ASCENDING
Avec : Channing Tatum, Mila Kunis, Sean Bean, Eddie Redmayne
Résumé : Née sous un ciel étoilé, Jupiter Jones est promise à un destin hors du commun. Devenue adulte, elle a la tête dans les étoiles, mais enchaîne les coups durs et n’a d’autre perspective que de gagner sa vie en nettoyant des toilettes. Ce n’est que lorsque Caine, ancien chasseur militaire génétiquement modifié, débarque sur Terre pour retrouver sa trace que Jupiter commence à entrevoir le destin qui l’attend depuis toujours : grâce à son empreinte génétique, elle doit bénéficier d’un héritage extraordinaire qui pourrait bien bouleverser l’équilibre du cosmos …
Après avoir renouvelé le genre avec Cloud Atlas, film au concept ambitieux et radical qui transfigurait l’idée qu’on se faisait du blockbuster, je suis assez peiné de voir le duo Wachowski louper le coche avec ce space opera baroque et barré qui n’emporte jamais le spectateur dans les étoiles. Grossier, condensé et naïf dans la forme, leur imaginaire et l’amour qu’ils portent au cinéma de genre est paradoxalement sans arrêt phagocyté par la lourdeur avec laquelle ils assènent leur soit disant générosité. L’infantilité déconcertante qui découle de leur geste se synthétise autant dans la caractérisation des personnages que dans le récit explicatif à l’écoeurement dans les scènes de dialogues, rythmées, heureusement, de temps à autre par des scènes d’actions assez divertissantes qui permettent de ne pas s’ennuyer totalement.
Si les 175 millions de dollars dépensés sont bel et bien visibles à l’écran, on se demande comment les cinéastes créateurs du culte Matrixont pu pondre un ‘truc’ aussi bancal et grotesque dans son montage et prévisible et soporifique dans son écriture. Si les premières vingt minutes posent les bases de l’histoire à venir, on sera hélas vite lassé de tous ces rebondissement qui ne passionnent jamais. Ce n’est jamais fun, ça manque de souffle et on se fout royalement de tout ce petit monde qui se court sans arrêt après.
La volonté des cinéastes d’ériger un univers SF foisonnant et référentiel (on pense quand même beaucoup à Star Wars et à bien d’autres films comme Blade Runner sur certains plans et cadrages) ne convainc pas une seule seconde à cause de quelques défauts d’une taille astrale : le coté pastiche assumé, le récit ultra codifié et les nombreux clins d’oeils (Brazilde Terry Gilliam, ce dernier fait même une courte apparition) occupent une place primordiale là ou ils auraient du être au second plan. Du coup, on suit des séquences sans substance et sans saveur dégoulinant de beaux et bons sentiments (mais pas que car il y a aussi des méchants !), et on se demande si la scène d’après sera d’aussi mauvais goût que celle que nous découvrons … De ce coté là, le film sera plutôt cohérent et tiendra toutes ses promesses …
Il y a beau avoir un potentiel énorme sur l’univers présenté, les enjeux dramatiques autour de la quête de la jeunesse éternel (1) et de l’exploitation des humains par une race supérieure, les Wachowski se contentent d’élaborer dans leur scénario, comme à leur habitude, une énième déclinaison d’un type d’histoire que l’on connaît tous : l’aventure messianique ou un personnage lambda découvrira qu’il a une destinée de héros – ici, Jupiter – accouplée à une histoire d’amour avec ses travers et ses rebondissements. Vite lassé par le mécanisme binaire de l’intrigue, les personnages écrits à la truelle enfoncent le clou et désamorcent définitivement toute implication émotionnelle !
Il est strictement impossible de s’attacher à eux et je suis sidéré par le cabotinage de certains, la palme du ridicule revenant à Eddie Redmayne en Balem Abrasax qui surjoue chaque mot de chaque réplique ! Et concernant les protagonistes, c’est quand même regrettable de voir ce duo d’acteurs – Mila Kunis et Channing Tatum – s’engouffrer dans de telles caricatures car ils vont, dans l’absolu, plutôt bien ensemble. S’ils ont le physique de l’emploi, ils ne sont malheureusement jamais dirigés et ça se ressent beaucoup trop souvent.
Superficielle au possible, leur relation est un peu à l’image de ce montage pataud qui use souvent d’ellipses maladroites et barbares. On a l’impression que la durée du film a été réduite à son minimum parce qu’avec tous ces personnages, les cinéastes ont certainement du écrire une fresque bien plus longue que celle que l’on a à l’écran. Résultat des courses, on tente de nous faire boire une soupe opera abondamment épicée de stéréotypes du cinéma de genre et populaire (romance, action, récit d’aventure, parodie, tragédie, etc), en faisant fi de l’art de la cuisson et de l’assaisonnement.
Si charcutage il y a eu, cette version ne rend en tout cas pas hommage à la mythologie qu’ils tentent de nous offrir si généreusement. Mythologie farfelue et déconcertante qui mélangent paysage terrestre, technologie de science fiction, villes extra-planétaires chamarrées aux design futuristes ou exotiques, décors aux architectures romaines, gothiques ou de la renaissance suivant le lieu ou l’on se trouve, costumes et coiffures sophistiqués et excentriques à l’excès, ornementation typée art déco sur certains vaisseaux et bestiaire extraterrestre improbable à base de reptiles ailés et races hybrides entre humains et animaux.
Je suis plus que mitigé face à cet imaginaire kitsch et volontairement extravagant qui, comme tout le reste, ne convainc pas des masses. On aimerait tellement s’amuser autant qu’ils ont du s’amuser à le réaliser – je n’en doute pas, mais le manque de cohérence, de personnalité, d’épaisseur psychologique pour les personnages et de rigueur narrative empêchent toute alchimie possible.
Le monde sous nos yeux est beaucoup trop riche et dense pour être expédier en tout juste deux heures. Jamais les cinéastes ne prennent le temps de développer l’aspect littéraire et romanesque de leur métrage : la présentation et les motivations de chaque personnage est sommaire et bâclé, et toute la dimension politique, historique et tragique qui entoure les Abrasax est à peine esquissée, si bien qu’on ne se sent jamais menacé ou impressionné par leur puissance, et encore moins inquiété ou investit émotionnellement par les conflits qui existent entre eux !
De plus, trop conscient de ses effets et de sa volonté de mixer des cultures, des symboles, des mythes et des contes (Jupiter est aussi une figure de Cendrillon) d’horizons différents, Jupiter Ascending ne parvient jamais à s’imposer comme un objet de fascination ou plus humblement comme une sympathique pépite filmique décomplexée de pur fantasy : contrairement à Matrixou Cloud Atlas, les Wachowski n’ont pas su trouver le bon ton, la bonne formule pour donner vie à leur monde féticho-mosaïquo-numérique. Ce spectacle épique, cosmique et halluciné, pur produit de la pop-culture, est certes traversé de milles influences mais sa facture complètement anecdotique ne lui permettra pas d’entrer dans la famille des ‘films cultes’.
A moins de le redécouvrir dans un director’s cut digne de ce nom et lui laisser ainsi une seconde chance, je n’ai pu me contenter, dans cette version ciné, que de la qualité des effets spéciaux, de certaines scènes d’actions (magnifique course-poursuite aérienne dans la ville de Chicago) et de quelques plans esthétiquement intéressants pour ne pas rejeter complètement le film. Et je me demande bien vers quel projet vont se tourner les cinéastes car je ne vois pas du tout Jupiter Ascending avoir un succès à l’international, même si je lui souhaite tout le contraire : même raté, le film à la mérite d’être touchant et de proposer quelque chose d’originale.
Cette oeuvre est sensée être la première d’une saga mais je ne vois pas comment elle peut concurrencer les Star Wars à venir (qui, rappelons le, s’en inspire déjà allègrement !), ainsi que les suites d’Avatar de James Cameron prévu pour fin 2017. Dans un genre similaire, même le récent Gardiens de la galaxie de James Gunn – une des grosses surprises de l’année dernière – fait passer le travail des Wachowski pour des amateurs geeks de seconde zone. En résumé, Jupiter Ascendingsatisfera à n’en point douté les moins de seize ans qui n’ont vu aucun film des cinéastes … Pour tous les autres, mieux vaut se contenter de retourner dans la matrice !
(1) – le temps est d’ailleurs un élément narratif ou de motivation cher aux cinéastes : Cloud Atlas, leur précédent métrage, développe un rapport évident avec le temps dans son montage cyclique et vertigineux.
Elmer Gantry, le charlatan (Elmer Gantry) de Richard Brooks
Avec : Burt Lancaster, Jean Simmons, Dean Jagger, Arthur Kennedy
Origine : U.S.A. [1961] – Genre : Drame
Résumé : Petit représentant de commerce au début des années vingt, Elmer Gantry est tout sauf honnête. Parcourant les Etats-Unis sans relâche dans le but de faire fortune, il rencontre une troupe de bateleurs religieux. Rapidement, il tombe amoureux de la soeur Sharon Falconer. Converti d’abord par opportunisme puis par amour pour la jeune femme, il met ses qualités de vendeur au service de la religion. Bientôt, une prostituée et un journaliste croisent le chemin de la troupe.
AVIS : En farfouillant un peu par hasard dans les rayons de la bibliothèque, mon attention fut éveillé par les noms prestigieux qui figuraient sur la pochette du DVD : en effet, je découvre que Burt Lancaster (acteur qui m’épate de film en film !) et Jean Simmons sont dirigés dans ce film par Richard Brooks (La chatte sur un toit brûlant, Graine de violence) ! Je ne savais pas que le cinéaste américain qui avait modernisé le classicisme hollywoodien dans les années 50 (avec, entre autre, Elia Kazan et Nicolas Ray) avait réunit les deux stars et j’ai été totalement sidéré par ce film dont je n’avais jamais entendu parlé !
Elmer Gantry est un miroir étourdissant et éblouissant de l’Amérique contemporaine dans ses convictions et ses contradictions. Tous les personnages sont incroyablement bien écrit, la caractérisation est impeccable et tous ont leur rôle à jouer dans la dramaturgie sans faille de Brooks également au scénario. Ce qui n’est pas surprenant puisque ce fils d’immigrés russe s’est d’abord distingué dans l’écriture dans les années 40 en publiant quelques romans, mais surtout en co-scénarisant de Les tueurs (The killers) de Robert Siodmak (pour lequel il n’est pas crédité) mais aussi Les démons de la liberté de Jules Dassin ou encore Key Largo de John Huston.
Le parcours de Gantry est absolument parfait dans son évolution (naissance et chute d’un homme ambitieux, figure par ailleurs souvent vu à l’écran) : une grande tragédie moderne qui n’a pas vieillit d’un poil dans les sujets sociétaux qu’elles abordent (religion, argent, politique, conflit d’intérêt, culte de l’individualisme, etc). Jean Simmons est quant à elle radieuse et poignante, dommage qu’après ce film et sa prestation dans Spartacus qui sortira la même année – et seront tout les deux de grands succès critiques et publiques – sa carrière ira sur le déclin. La plantureuse et sensuelle Shirley Jones (qui sera récompensée par l’oscar du meilleure second rôle) compose une vénale mais touchante prostituée qui fera tourner la tête à Gantry, et s’oppose parfaitement avec la chasteté du personnage de Simmons, toutes les deux les figures d’un cinéma classique hollywoodien ou s’affronte la femme brune pure et sincère et la femme fatale blonde séductrice.
Et puis la mise en scène est plutôt sobre au début, classique tout en étant bien organique (belle utilisation des légères contre-plongées), et quand les conflits commencent à poindre le bout de leur nez, l’esthétique prend soudainement des allures de film noir jusqu’à finir vers des notes de théâtralités assez subtils et bien pensés. Bref, un grand moment du cinéma en plus d’une énorme satisfaction d’avoir découvert un ‘classique oublié’ du cinéma américain ! En tout cas, les Oscar ne s’y tromperont pas puisque Richard Brooks recevra une statuette du ‘meilleur scénario adapté’ en 1961 pour cette adaptation du livre de Sinclair Lewis.